Deuxieme version, retravaillee.. pour ceux qui ont le courage de lire.
Texte pour le blog de Malicia. J'ai choisi "l'option" de commencer le texte avec les mots de la chanson de Camille.
J'aime les commentaires sinceres, montrez-moi jusqu'a la petite expression qui vous ennuie, tout point de vue m'interesse. Si ca ne vous a rien fait, dites-le, si vous avez vraiment pas aime, dites-le.
Merci ! 
« Elle roule vers nulle part, elle n’a plus de mémoire. Elle est perdue dans un songe, un grand vide la ronge. Elle s’en va… » elle a presque oublié pourquoi. Elle frôle des yeux les moulures des maisons de rangées et les pas des passants au long de sa route. Elle aurait pu ne jamais connaitre ni ses frères, ni le sein de sa mère, ni ces après-midis heureux quand la cuisson parfumait la cuisine et le père rentrait avec un baiser. Les souvenirs ne défilent plus, étrangers. Alors, bien qu’inconnue à ce grand monde, elle s’émerveille à l’idée d’en créer des souvenirs. Des nouveaux. Son corps maigre semble trop petit pour contenir tous les sentiments, soutenir toutes les pensées qui fusent juste au-dessus, derrière ces yeux trop ouverts. Elle embrasse l’identité que les panneaux, les vidéos, les images séductrices lui projettent, et elle pense que l’amour la sauvera. Elle s’offre pourtant ce que son cœur résiste, la solitude. Assise, les jambes arquées et nues sur le siège plastifié du bus, elle considère son petit bagage, le sac bleu en coton avec des taches d’encre. La fenêtre a fini de l’intéresser ; son cœur semble percer le froid, le vide, avec un élancement qui lui enfle le buste. Son manque la presse. Elle se tourne vers les autres passagers et observe, se demande ce qui les fait encore marcher, sortir, respirer si régulièrement ; elle se demande quelle est cette carotte au bout du fil, sous leur nez… Elle se demande s’ils ont ce dont elle a besoin. Dans les regards des hommes, elle voit la soif, cette soif qui la tient aussi au corps. Un homme aux yeux aimables et soutenus croise les siens. Elle sourit, il remue nerveusement sa veste. Les lèvres tendres, un regard furtif et le délice sous la langue… suivis par la soif. Lorsqu’il reçoit un appel, il parle doucement et lui jette un coup d’œil… Il est pris. Dans les deux sens. Une moue de victoire se dessine lentement sur le visage charnu de la jeune fille.
*
Ce qu’on ne sait pas c’est que les voix continuent après les faits. Elles se saturent, et les brulures au ventre persistent jusqu’à la nausée. « M’appellera-t-il ? » Le bonheur repose sur les mains traitresses d’un inconnu. Malgré tout, sa confiance en elle garde un statut grâce à l’expérience. « Ils ont tous rappelé. » Finalement, même cela la laisse indifférente. Même plus de soif, elle est vide, déjà ; la vitalité s’effrite. Qu’est-ce qu’il changerait de toute façon ? La solitude est forte et tenace, surtout face à un étranger. « Où vais-je dormir ? » Mais elle ne s’inquiète pas. C’est ça la liberté, non ? Au fond, elle a beaucoup d’amis. Ca serait un peu déplacé mais c’est mieux que la rue…
*
Lorsqu’il appelle, elle est assise sous un abribus (deux arrêts plus loin que le sien), et elle a froid. Les vieux murs gris l’ayant assez ennuyée, ainsi que l’église moyenâgeuse maculée par la pollution, elle s’était longuement noyé les yeux dans l’espace vide du ciel.
- C’est bien Aline ?
Sa voix n’est pas inquiète comme celle des autres, elle résonne et réchauffe. La veste semble plus douce sur les bras de la jeune fille et, en fait, elle se sent comme si elle retrouvait un ami, perdu depuis longtemps.
Elle dit :
- Tu es libre maintenant ?
- Oui…
- Viens me chercher à la place Saint-Pierre.
Son ton est indifférent, mais en réalité, c’est un appel. Elle gratte nerveusement d’une main ses cheveux longs, trop raides… lui, marque une pause.
- D’accord. Je serais là dans deux minutes.
Ça lui a semblé plus court que deux minutes, mais il est là et il ne lui dit pas d’entrer dans la voiture au trottoir, il se parque. Lorsqu’il marche vers elle, avec un cliquetis de clés, elle se dit qu’il doit avoir trente ans et qu’elle aime qu’il ait parqué sa voiture.
- Écoute, c’est un peu dangereux pour une fille comme toi tout ça…
- Ça ne dépend que de toi.
Une pause.
La peur la saisit enfin, comme si elle tombait dans un bac de colle, les entrailles brûlantes.
- Tu as quelque part ou loger ?
Non. « Ne dis pas non ! » Le sac bleu remue un peu sous ses mains.
- Oui…
Encore une pause. Elle loue le ciel qu’il fasse encore clair, elle donne sa vie aux dieux du temps – il n’est que 6 heures.
- Tu as faim ?
*
Il est paisible, mais il ne pose pas de questions. Alors qu’elle dévore le kebab, il sourit parfois, il s’éloigne en pensée souvent. Elle n’a pas l’habitude de son respect, de sa réserve. D’habitude, elle ne doit pas faire le premier pas. Il a les cheveux un peu trop longs et un de ces visages sérieux, les joues pâles et le nez délicat. Elle ose finalement :
- Alors qu’est-ce que tu fais dans la vie, Benoit?
Elle prend un accent désinvolte, malgré sa bouche pleine.
- Ingénieur.
- Ah.
Elle ne trouve rien d’autre à dire. Elle aurait dû le vouvoyer, si elle commence maintenant, ça va sembler ridicule. D’habitude, tous « leurs » efforts sont dirigés vers le but de l’emmener chez eux, des pieds et des mains, des billets et des regards. Peut-être que certains se calment avec l’âge. C’est bien sa chance. Une fois le kebab disparu, ils se tiennent assis à regarder les passants. Elle aime les tables sur la terrasse, à cause du vent, qui lui caresse le visage d’un voile frais et agite les quelques arbres maigres plantés entre les dalles. Le soleil lâche encore quelques poussières de rayons à cette heure…
- Et ta copine, elle est où maintenant ?
- Chez elle…
Il sourit :
- Comment tu sais ?
