La suite de son monologue traversa mon oreille pour tout de suite en ressortir. Mon collaborateur était compétent, mais il ne pouvait s'empêcher de parler. On m'a souvent dit que je ne parlais jamais, mais avec un coéquipier comme celui-là, pas besoin de parler, il le faisait bien assez pour nous deux! Je m'installai à mon bureau et rangeait de façon mécanique les tas de paperasses, pourtant déjà bien ordonnés. J'étais distrait. Et puis, j'eus un éclair. Marc avait au moins quarante ans...il a dû connaître cette affaire...
- Dites moi Marc...
- Oui m'sieur?
- Vous avez dû connaître cette affaire sombre et morbide qui s'est passée il y a huit ans ?
Il rigola.
- Mais m'sieur, nous sommes dans le secteur des crimes les plus noirs. On en élude tous les ans au moins, tous plus gores les uns que les autres...
- Oui oui, répondis-je sans avoir vraiment écouté la réponse, mais...Ne vous rappelez-vous pas, de ce dossier bouclé en trois jours, impliquant deux jeunes femmes? Rose Delatreille, ça vous dit quelque chose?
A l'évocation de ce nom, Marc pâlit et son visage se transforma en une grimace non-dissimulée. Il garda un silence tendu pendant quelques minutes. Ca devait être bien grave pour qu'il se taise aussi longtemps, de mémoire de Camille, je ne l'avais jamais vu aussi silencieux. Il me regarda gravement et sa réponse me fit frissonner.
- Comment connaissez vous son existence?
Désarçonné, je répondis maladroitement:
- Euuh...par...euh...hasard?
- Non. On ne peut pas tomber sur ce dossier par hasard. Oubliez tout ça, tout ce que vous avez lu et toutes les suppositions que vous en avez faites. Il ne faut pas, c'est une affaire close, privée et...personne ne doit en parler, parce que personne ne doit savoir ce qu'il s'est passé cette nuit là. Tout le monde croit que Rose Delatreille est partie en voyage. Point barre. Ne cherchez pas plus loin. Pour tout le monde, c'est comme ça. Vous êtes comme tout le monde, alors vous devez penser ça aussi.Et ce n’est pas un conseil.
- Que voulez-vous dire ?
- Oubliez. C’est tout.
Tant de mystère et de brouillard autour de ce crime ne pouvait qu’exciter ma curiosité et mon besoin de savoir. J’avais envie de savoir. Il suffisait qu’on me dise d’oublier pour que ne fasse qu’y penser. Pur esprit de contradiction. Je relus le dossier pendant la pause-déjeuner. Non, ce n’est pas possible que ce soit elle…Ou alors, il faut des preuves, des vraies. Qui avait été chargé de l’enquête ? Le rapport ne l’indiquait même pas. Trop d’erreur, trop de cachotteries. Ce n’était pas clair.
- Marc, trouvez moi tout ce que vous pouvez sur cette affaire Galkowski !
- Ca ne vous apportera rien de bon m’sieur…Il ne faut pas s’occuper de ça.
- Si, justement Marc ! Je sens qu’il y a quelque chose de louche et je dois savoir ce qu’il en est. Vous avez dit que « tout le monde » devait penser ça, or, je ne suis pas tout le monde Marc. Nous ne sommes pas « tout le monde ». Nous sommes enquêteurs afin d’établir la justice et l’ordre. Alors, au travail !
Les yeux de Marc trahissaient sa peur et son effroi. Pourquoi avait-il tant peur ? Il devait savoir quelque chose, il devait, mais il ne voulait pas le dire. Il doit en faire des cauchemars toute la nuit, ça doit le hanter. Qu’est-ce qui pouvait bien lui faire peur à ce point ? Il était devenu raide et sursautait à chaque bruit un peu brusque. Vers la fin de l’après-midi, il revint, le teint un peu blême. Il me souffla :
- Je n’ai pas trouvé grand-chose monsieur, mais j’ai quelques éléments…
- Je vous écoute Marc.
- Non..Pas ici s’il vous plaît, et si on nous entendait ?
- Quelle importance ?
- Ah ! Vous ne savez pas à quel point il est dangereux de rouvrir ce dossier…C’est une question de vie ou de mort…Vous serez en danger…
- Allons chez moi Marc…
- C’est sécurisé…Vous en êtes sûr ?
- Allons-y.
la suiteuuu 