Escapade nocturne.

Comme toutes les nuits, elle était dehors, dans sa petite tenue. Elle dansait le sourire aux lèvres en traversant la rue. Comme toutes les nuits ou comme une nuit sur deux, voire une nuit sur trois...seul le voisin savait. Et comme c'était une jeune fille sage, elle traversait sur les passages cloutés. Pas une seule voiture, mais comme disait le héros de son histoire préféré, un petit prince blond comme les prés, on ne sait jamais ! Elle posait ses pieds nus et frêles, aux veines du même bleu que ses yeux, un à un devant elle, un pour chaque bande blanche. Puis, elle passait sur le trottoir et marchait vingt mètre, avec légèreté, en équilibre sur le bord. Elle faisait bien attention à ne pas toucher les traits avec ses orteils, comme la petite danseuse de la chanson qu'elle fredonnait cette nuit là. Cette nuit là, comme toutes les autres nuits, ou une nuit sur deux, voire une nuit sur trois...seul le voisin savait. Et puis elle levait ses yeux clos au ciel, comme pour regarder les étoiles, et après une ou deux inspirations, s'enfonçait sous le porche sombre qui lui faisait face. Il était là, le voisin. Assis sur les marches, comme si il l'attendait. Il était là, comme toutes les nuits, mais il n'attendait personne. Il fumait sa gauloise de 1h10, le sourire aux lèvres, se demandant juste si ce serait une nuit AVEC ou une nuit SANS. Il restait aux aguets, les cinq sens en éveil. Le froissement de la soie d'une nuisette, le doux parfum d'une violette. AVEC. Elle arrivait, il le sentait. Il ouvrit alors grands ses yeux pour observer son doux visage qui, à lui seul, éclairait toute la pénombre. Une sylphide, un ange ? Il ne savait toujours pas. Une somnambule et un insomniaque, ils feraient un beau couple tous les deux. C'est la seule chose dont il était certain. Et puis, comme toutes les nuits, ou plutôt comme toutes les nuits AVEC, il la prit par la taille et avança. Il refaisait en sens inverse le cours chemin qu'elle venait de faire. Faisant attention à ce que les orteils de la jeune fille, n'effleurent pas les traits du trottoir. Faisant attention à ce qu'elle ne posa pas ses pieds en dehors des bandes blanches. Se laissant porter par la chanson qu'elle fredonnait toujours. Il en profitait pour observer ses douces formes, les collines et les vallées de son corps, les deux belles courbes qui pointaient à travers sa nuisette. Le regard du voisin descendait le long de ses jambes glacées et s'arrêtait sur ses deux petits pieds. Il adorait ses pieds, les chérissait. Mais il était toujours effrayé par le bleu de ses veines. Et comme toutes les nuits, au même endroit, au même moment, 1h21, à l'arrêt du bus 7, il prit sa blanche princesse dans ses bras et courut en hâte jusque dans son appartement. Là, il la déposai dans ses couverture parsemées d'étoiles, de renards et de petits princes et honteusement mais tendrement il effleurait ses lèvres des siennes. Mais sa Belle au Bois Dormant ne se réveillait pas comme il l'espérait. Il retournait alors piteusement chez lui, et attendait patiemment la prochaine nuit AVEC, pour revoir sa princesse.
De son côté, elle se réveillait, sereine. S'étonnait de la douce odeur de cigarette qui flottait dans l'appartement. Revoyait la petite danseuse de son rêve, faire des pointes entre les traits du trottoir. Et souriait en s'étirant.