Un troisième texte, un auquel je tiens...
J'ai essayé d'aborder un sujet assez délicat... Et certaines choses sont dures à dire sans sombrer dans le mélodrame. J'espère avoir réussi.
« Mon amour,
Je profite de ce moment de lucidité pour t'écrire. Nous n'avons maintenant plus beaucoup l'occasion de nous parler mais je sais que tu passes énormément de temps à mes côtés. Sache que même si mon esprit est embué par la morphine, je sens ta présence ; t'entendre parler me fait le plus grand bien. Ta voix m'apaise et me soulage plus que n'importe quel anti-douleur.
Les médecins ne t'ont sûrement pas ménagée et tu sais même peut-être mieux que moi ce qui m'attend. Je sais très bien ce qui est à venir mais je ne connais pas l'échéance. Je suis incapable de dire dans quel état je serais demain. Ce que les médecins me prédisent m'effraie encore plus que ma propre fin. Je me doute que je finirais fou avant même de vous quitter. Imagine à quel point cela me fait peur : Perdre la mémoire, moi, alors que j'ai passé ma vie à dispenser mon savoir. Je ne pourrais pas supporter de ne plus reconnaître ceux que j'aime et de n'être plus pour vous qu'un fantôme qu'on garde en vie tapis dans un lit d'hôpital.
Ce que j'ai à te demander te révoltera sûrement. Je n'ai pas l'ambition de vous faire souffrir et j'ai conscience que ce je vais te demander est égoïste mais crois-moi, j'y ai longuement réfléchi. Et réfléchir, je n'ai bien que ça à faire ici. Je me sais de toutes façons condamné et je n'ai plus la chance d'espérer quoique ce soit de la Vie ou de l'avenir si ce n'est de mourir conscient, lucide et dans la dignité. Tu te doutes sûrement de ce que je vais te demander : M'aider à réaliser ce dernier souhait.
Ce n'est pas un meurtre, je suis déjà mort. Le jour où le médecin m'a déclaré de sa voix grave que tout serait fini dans à peine un an, j'étais déjà parti. L'Espoir fait vivre et le mien s'est éteint à l'instant précis où ma vie a basculé. Cette seconde longue comme une heure où j'ai du renoncé à des ambitions futiles et des projets parce que je savais à présent que je ne vivrais pas assez longtemps pour les vivre. Il n'était plus question de passer une retraite agréable sur une île paradisiaque avec toi ou d'avoir le plaisir de connaître au moins l'un de nos petits enfants. Je n'avais plus la Vie devant moi, j'avais quinze mois. Peut-être plus, sûrement moins. Tu ne penses alors plus qu'à ça, tu dresses des listes de ce que tu pourras encore faire, tu t'angoisses de savoir le nombre de jours où tu pourras encore te réveiller chez toi, sentir l'odeur du café et non pas celle du l'éther.
J'aimerais partir sereinement. Apaiser enfin cette rage qui me dévore en dedans autant que la maladie et qui dure depuis trop longtemps. Je pourrais comprendre que tu m'en veuilles, je n'ai juste plus que l'impression d'être un souvenir que l'on tient vivant et non plus un homme. Sache que peu importe ce que tu feras et ce que tu décideras, j'aurais toujours une pensée pour vous. Si l'Espoir est mortel et que le mien s'est déjà évanoui, les sentiments que j'éprouve pour vous sont invincibles.
Je vous aime,
Mark. »
Anna froissa la feuille entre ses doigts. Des larmes avaient délavé l'encre par endroit et rendu flou certains mots. Elle ravala un sanglot et se leva. Elle embrassa son front, les yeux fermés. Elle le regarda une dernière fois et sortit, la lettre dans une main, une seringue vide dans l'autre.
Elle ferma la porte de la chambre et bascula la tête en arrière, une boule dans la gorge. Seul un murmure parvint à glisser de ses lèvres : « Invincibles. »