Auteur : Alessandro Baricco
Année : 2002
Résumé : Au bord de l'océan, à la pension Almayer, « posée sur la corniche ultime du monde », se croisent sept personnages au destin étrange et romanesque, sept naufragés de la vie qui tentent de recoller les morceaux de leur existence. Mais leur séjour est bouleversé par le souvenir d'un hallucinant naufrage d'un siècle passé et la sanglante dérive d'un radeau. Et toujours, la mer, capricieuse et fascinante...
Passage :
- Edel, y'a-t-il moyen de faire des hommes qui ne fassent pas de mal ?
Cette question là, il a dû se la poser lui aussi, à un moment quelconque, Dieu.
- Je ne sais pas. Mais j'essaierai.
Dans la boutique d'Edel Trut, on travailla pendant des mois avec les kilomètres de fil de soie que le baron fit livrer. On travaillait en silence car, disait Edel, le silence devait pénétrer dans la trame du tissu. C'était un fil comme les autres sauf qu'on ne le voyait pas, mais il était là. On travailla donc en silence.
Des mois.
Puis, un jour, un chariot arriva au palais du baron, et sur ce chariot, il y'avait le chef-d'oeuvre d'Edel. Trois énormes rouleaux de tissu lourds comme les croix pour la procession. On les monta par le grand escalier, puis à travers les couloirs et de porte en porte jusqu'au coeur du palais, dans la chambre qui les attendait. Et un instant avant qu'on les déroule, le baron murmura
- Et les hommes ?
Edel sourit.
- Si vraiment il doit y avoir des hommes, qu'au moins ils volent, et loin.
Le baron choisit la lumière du couchant pour prendre sa fille par la main et l'emmener dans sa nouvelle chambre. Edel dit qu'elle entra et rougit aussitôt, d'émerveillement, et le baron craignit un instant que la surprise ne soit trop forte, mais un instant seulement, car aussitôt régna le silence irrésistible de cet univers de soie où reposait une terre clémente et heureuse, et où de petits hommes, suspendus dans l'air, mesuraient à pas lent le clair azur du ciel.
Edel dit - et il ne l'oubliera jamais - qu'elle regarda autour d'elle puis, en se retournant - se mit à sourire.
Elle s'appelait Elisewin.
Elle avait une très belle voix - velours - et quand elle marchait tu aurais cru qu'elle glissait dans l'air, et tu ne pouvais plus t'empêcher de la regarder. De temps en temps, sans raison, elle aimait se mettre à courir, sur ces terribles tapis blancs, elle cessait un instant d'être l'ombre qu'elle était et elle courait, mais rarement, au point que certains, alors, en la voyant, s'entendaient dire, à voix basse...
Mon avis : Je suis un immense admirateur de Baricco, et à mes yeux, ce roman est le plus abouti de sa carrière. Enchanteur, poétique, souvent cruel, il fait de la mer, de l'Océan, des personnages à part entière. Je n'ai jamais vu et lu un auteur qui savait si bien écrire l'Eau (hormis Emingway). Un livre que je conseille, parce que vous n'en ressortez pas indemne en fin de lecture, et je pense sincèrement qu'il faut avoir lu un Baricco au moins une fois dans sa vie.